Les affiches de la Belle Époque et le tourisme ferroviaire

Chemins de Fer de Paris-Lyon-Méditerranée. Nantua (Ain). Centre d'excursions dans l'Ain et le Jura [...] : [affiche] / F. Hugo d'Alési. Source Gallica, BNF.

Lorsque je me promène dans les rues d’une ville ou dans certains lieux de transit (gare, arrêt d’autobus ou station de métro) je prends toujours le temps de regarder les affiches collées sur les murs où sur les panneaux d’information publics. Elles disent quelque chose d’essentiel sur les enjeux de société du moment,  le débat politique ou la vie culturelle de l’endroit, sans oublier le « marketing territorial ».

Bien que de nouvelles formes de communication, a priori plus efficaces, aient vu le jour avec le développement des outils numériques… la bonne vieille affiche papier continue d’habiller les murs de nos cités, pour le meilleur et parfois pour le pire.

Quand les murs prennent la parole

Au XIXe siècle, on assiste à la mise en place progressive d’une société démocratique. Dans un tel contexte l’exposition d’affiches dans l’espace public constitue un enjeu politique.  La « police de l’écriture » veille, sévit et tente de contrôler les murs des villes. Cependant, à une époque où la plus grande partie de la population est encore exclue du débat politique, l’inscription illicite, qui côtoie les affiches officielles, représente un moyen d’expression populaire que l’on pourrait qualifier de « murmure des murs ».  Cette libre expression se perpétue de nos jours sous la forme de pochoirs, graffitis, tags et autres affiches… qui interpellent le badaud. Qu’elle vende du rêve ou qu’elle serve d’outil de propagande, l’affiche est omniprésente dans nos vies quotidiennes.

Affichage sauvage, place Jacques Gruet, Genève, mars 2017, fonds P. Hanus

L’affiche ferroviaire : susciter le désir pour une destination de charme

Au cours de la Belle Époque (1890-1910) la chromolithographie, technique d’imprimerie qui permet la reproduction des dessins en grande série, se diffuse dans toute l’Europe. Cette innovation va permettre l’essor de l’affiche publicitaire illustrée – dont la conception est assurée par des peintres polyvalents – ainsi qu’en témoigne le célèbre magazine L’Illustration : « les murs de Paris se couvrent de tentations sur papier bleu, jaune, vert, violet. Train de plaisir pour Strasbourg… Voyage en Belgique… Excursions en Suisse… On ne peut pas faire un pas sans qu’une compagnie de chemin de fer ne nous somme de quitter Paris ».

Affiches et guides d’excursion, nourris d’exotisme de proximité, convergent en effet pour vanter les agréments des séjours en villégiature. Ceux-ci sont subventionnés par les municipalités, les chambres de commerce ou les compagnies privées de messageries ou de transport. Tout en informant le passager sur les conditions du voyage,  l’affiche valorise une destination par l’illustration. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les grands affichistes vont ainsi souligner le charme des stations balnéaires ou de sports d’hiver dans un style d’abord hérité du romantisme (en transcendant les paysages de montagne ou lacustres, à l’instar de l’affiche ci-dessous, nourrie de la rêverie de Lamartine sur le lac du Bourget) puis Art Nouveau, où s’exacerbent les symboles végétaux et féminins.

P. L. M. Aix les Bains… : affiche F. Hugo d’Alési. Source : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9016005h

A travers les procédés stylistiques des artistes lithographes  (contrastes de couleurs, diversité des formes) il s’agit d’exciter chez le curiste, l’excursionniste ou le touriste le besoin grandissant d’évasion propre au citadin moderne. L’affiche tente alors de satisfaire un double impératif : faire rêver mais aussi informer.

Hugo d’Alési, un artiste-publicitaire au service du chemin de fer

Frédéric Hugo d’Alési (1849-1906) fut l’un des pionniers de l’affiche touristique française. On lui doit plusieurs dizaines d’affiches faisant la promotion de sites pittoresques ou de centres de villégiature en montagne. Sa réputation est grande et sa clientèle s’étend à la Suisse également.

Chemins de Fer Jura-Simplon. Suisse. Vallée du Rhône. F. Hugo d’Alési ; Affiches simili-aquarelle. Source Gallica BNF, Paris

En 1895, il réalise une affiche (ci-dessous) pour la Compagnie de chemins de fer du Jura-Simplon dont les lignes traversent la Suisse romande. Il y présente une vue bien connue du lac Léman avec le château de Vufflens au premier plan, sans oublier un train et sa locomotive fumante. Dans un cartouche, il montre le château de Chillon de nuit, au clair de lune avec les Dents du Midi en arrière-plan.

Chemins de Fer Jura-Simplon. Suisse. Vallée du Rhône. F. Hugo d’Alési ; Affiches simili-aquarelle. Source Gallica BNF, Paris. Source Gallica BNF, Paris.

Ces affiches au caractère esthétique prononcé, si elles favorisent un réel désir de partir chez ceux qui peuvent se le permettre, ont également le mérite de faire rêver les simples passants qui les découvrent au hasard de leur parcours…

Chamonix-Mer de Glace. Affiche F. Hugo d’Alési. Source BNF, Gallica, Paris

On sait qu’à partir du motif de ses affiches, François Hugo d’Alési a été sollicité par le ministre de l’instruction Jules Ferry pour fabriquer des tableaux scolaires. On peut donc supposer que ces représentations édifiantes des monuments, villes et paysages de mer ou de montagne ont été admirées par les « têtes blondes » en classe de géographie. Ces tableaux ont vraisemblablement contribué à façonner une image idéale de la France des terroirs sous la Troisième République.

Je me demande si, dans notre façon d’appréhender les « beaux paysages » alpestres ou jurassiens, nous ne sommes pas encore influencés par cette imagerie populaire… réactualisée de nos jours à travers maints supports publicitaires :

Affiche publicitaire pour une micro-brasserie alpine, située à Aix-les Bains. Fonds P. Hanus mars 2017.

 

Pour aller plus loin

Jean-Charles Giroud, Les affiches du Léman, Genève, Georg, 1998.

Jean-Charles Giroud, Chillon, la belle époque de l’affiche, Veytaux, Fondation du Château de Chillon, 2013.

Nathalie Pégé-Defendi, « Une invitation au tourisme : l’affiche ferroviaire française (1880-1936) », thèse, histoire sociale et culturelle, université de Paris I Panthéon-Sorbonne, sous la dir. d’A. Corbin, juin 2001

Alain Weill, L’affiche dans le monde, Paris, Somogy, 1991 (1re édition en 1984)

 

Villégiature, loisirs sportifs et chemins de fer : L’image du sport dans les affiches ferroviaires (1919-1939)

C’est par l’affichage que le chemin de fer se fait vraiment connaître du grand public au moment de son expansion au XIXe siècle, accompagnant notamment le développement des trains de plaisir dès les années 1860. Maryse Angelier se fait ainsi l’écho de la revue L’Illustration soulignant que  » les murs de Paris se couvrent de tentations sur papier bleu, jaune, vert, violet.